Mais quel Père !
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Nous connaissons tous l’histoire de ce fils prodigue qui réclame à son père sa part d’héritage et qui part pour la dilapider dans une vie de patachon, jusqu’à se retrouver en pleine galère. (Luc 15, 11-32)
C’est seulement lorsqu’il est confronté à la misère et à la faim qu’il se souvient enfin du confort chez son père et décide de revenir. Son père l’aperçoit de loin, il court à lui, l’accueille comme un roi et fait la fête car son fils est revenu à la vie !
Mais quel Père !
Un père qui s’exécute sans rien dire quand son fils lui réclame sa part d’héritage !
Un père qui laisse partir son fils alors qu’il sait pertinemment qu’il va faire n’importe quoi, dilapider sa fortune et s’exposer à tous les excès du sexe, de l’alcool, des mauvaises fréquentations…
Un père qui ne le met en garde a aucun moment, qui ne l’alerte pas sur les dangers, qui n’essaye même pas de le convaincre qu’il serait bien plus heureux en restant à la maison ou au moins de négocier les conditions d’une poursuite de la vie commune…
Un père enfin qui court tendre ses bras et son cœur à son fils en guenilles, sans aucun reproche, sans aucun « je te l’avais bien dit… »
Un père qui n’écoute même pas les excuses de son fils, pressé qu’il est de le revêtir de lumière, préparer le repas de fête et d’y convier tous les proches…
Un père enfin qui ne semble pas avoir la moindre empathie pour son fils aîné jaloux d’être resté fidèle et d’avoir trimé à ses côtés sans être honoré comme le jeune prodigue qui n’est pas un prodige va l’être !
Cette attitude du Père du Fils Prodigue
ne vous choque-t-elle pas ?
Mais quel Père !
Tous les parents qui cherchent à convaincre leurs ados de ne pas faire n’importe quoi savent combien c’est difficile… et voudraient les en empêcher, les protéger...
Toutes celles et ceux qui ont vécu des conflits, des guerres de tranchée, en famille, au travail, dans la vie sociale, savent combien c’est difficile de négocier ou simplement de proposer un autre point de vue…
Tous ceux et celles qui se sont obstinés durablement à essayer de faire dire la vérité à un proche, savent combien c’est difficile, parfois, et voudraient restaurer la confiance, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à se retrouver « hors de soi » dans la violence…
Nous voulons parfois éviter à l’autre les chutes… Au nom de notre devoir de protection, nous voulons empêcher un proche d’une conduite à risque… Au nom du même amour, nous préférons parfois nous taire ou nous soumettre et supporter la violence dans l’espoir que l’autre change… Combien s’y sont brisé les ailes, jusqu’à l’aigreur ou la rancœur… et la désespérance.
Mais quel Père, ce Père qui refuse par amour d’entrer dans un combat frontal perdu d’avance quand chacun voudrait triompher de l’autre !
Mais quel Père, ce Père qui reconnaît son fils responsable de sa vie… Ce père qui accepte que son fils aille faire lui-même son expérience, avec les risques que cela comporte… Ce père qui lâche prise sachant qu’il n’a pas le pouvoir de changer l’autre, fut-il son fils… Telle est la toute-puissance d’amour de ce Père quand il lâche prise, bien loin de nos conceptions du pouvoir des hommes et de la toute-puissance divine… Ce Père convaincu qu’il ne peut pas changer son fils et qui le laisse s’exposer aux risques pour expérimenter le vrai chemin de la responsabilité et de la liberté.
Des parents on fait la même expérience, finissant par retrouver leurs fille ou leur fils, après une adolescence tumultueuse, après des ruptures douloureuses où ils ont dû lâcher prise.
Des couples, des voisins, des amis ont fait une expérience libératrice le jour où l’un des deux a fini par lâcher son obstination à faire entendre raison à l’autre, découvrant que personne ne peut changer l’autre tant que l’autre n’en a pas perçu l’intérêt…
Mais quel Père ! Ce père qui attendait le retour de son fils sur le pas de sa porte. « Il s’est usé les yeux à son métier de père » a écrit le Père Paul Baudiquey en commentant le tableau du prodigue de Rembrandt. Ce Père dont on peut deviner la tristesse, l’anxiété, l’impatience, l’espoir et cette longue attente d’un retour incertain… Toute Puissance d’un amour qui attend dans le respect de la liberté de l’autre…
Combien d’hommes et de femmes ont attendu parfois patiemment le retour d’un proche… Combien ont regardé la photo, ont prié, mis une bougie… Non pas pour demander à Dieu de leur ramener l’être cher, car cette prière aurait été trop égoïste. Mais d’une prière qui continue à veiller sur l’autre quand bien même il est loin, sans jugement ni reproche, simplement dans le désir qu’il trouve son chemin de vie et de bonheur…
Et quel fils, ce prodigue en crise qui a besoin d’aller se chercher lui-même en expérimentant des conduites à risques, des plaisirs artificiels, des addictions toxiques… Ce prodigue qui doit être confronté à la misère, confronté à la perte de ce qu’il avait, et qui découvre tout-à-coup qu’il a même perdu tout ce qu’il était, se sentant plus bas que terre, indigne même de la nourriture des cochons… Ce fils confronté à sa misère, seul chemin pour se retourner vers lui-même, vers ce qu’il est, vers ce qu’il veut vraiment, ce fils culpabilisé d’avoir quitté la maison de son père pour aller se confronter au mortifère… Ce fils qui va revenir tout penaud ne sachant comment s’excuser…
Combien de jeunes et d’adultes ont un jour voulu rompre avec les habitudes, avec un contexte oppressant, ou choisir un chemin de liberté sans entendre les mises en garde…
Combien de jeunes et d’adultes ont fait leurs expériences parfois risquées, parfois destructrices, et ont fini par s’interroger sur ce qu’ils voulaient vraiment… ou par trouver sur leur route une personne ou une association qui leur a tendu la main dans la détresse et leur a permis de redémarrer un chemin constructif…
Mais quel Père ! Ce père qui serre dans ses bras son fils en guenilles… Ce père qui n’écoute même pas les excuses coupables de son fils, qui ne lui fait pas la leçon, et ne lui fait pas ressentir sa propre blessure d’amour paternel… Ce père qui lui montre seulement qu’il a toujours été là à l’attendre sans conditions… Ce père qui ne lui dit même pas qu’il lui pardonne, mais seulement qu’il est heureux de son retour à la vraie vie ! Ce père qui le retrouve comme son fils à part entière, là où le prodigue pensait devoir être considéré comme serviteur ou esclave en raison de ses fautes. Plus qu’un pardon, il s’agit d’une restauration, d’une résurrection ! Toute-Puissance d’un amour qui accueille, sans reproches et sans conditions…
C’est difficile le pardon, surtout quand le souvenir de l’offense laisse des traces ineffaçables. Mais ce Père nous montre qu’il ne s’agit même plus de pardonner, mais de porter sur le fautif un regard qui restaure sa dignité jamais totalement détruite : des guenilles disaient ses errements, un vêtement va révéler la dignité restée enfouie en lui, une bague au doigt va restaurer l’alliance, des sandales vont le remettre en marche, et le repas de fête va le réintégrer à sa place de fils dans la famille des humains…
C’est impossible le pardon pour le frère aîné du prodigue. Nous pourrions d’ailleurs comprendre sa stupeur de voir son frère ainsi réintégré dans la famille alors qu’il a gaspillé une partie de la fortune familiale et entaché l’image de la famille. Nous pourrions aussi comprendre que l’aîné qui s’est décarcassé pendant des années à entretenir les propriétés familiales ressente comme une injustice tout le tralala de son père pour son frère qui ne s’est préoccupé que de ses plaisirs personnels.
Finalement, la jalousie de l’aîné ne serait-elle pas légitime ? Ne nous reconnaissons-nous parfois dans cette attitude quand il nous semble que tout réussit à ceux qui choisissent une vie facile et que, pour nous, tous nos efforts et nos investissements ne sont pas souvent récompensés ? Quand il nous semble que les malhonnêtes réussissent parfois bien mieux que ceux qui choisissent la rectitude et la justice ? Quand nous avons l’impression que, malgré nos efforts, Dieu ne nous donne pas ce que nous lui demandons depuis si longtemps ?
Mais quel Père ! Ce père qui fait la fête pour celui qui a pu donner l’impression de trahir et ne valorise pas celui qui est resté fidèle ! Ce père ne répond pas à la jalousie de l’aîné ! Car ce père ne mesure pas au mérite les efforts de l’un et ceux de l’autre ! Ce père n’évalue pas en fonction de ce que chacun a fait ! Ce Père n’encourage pas celui qui ne recherche que des félicitations !
Mais quel Père ! Ce Père dont le seul critère n’est ni l’avoir, ni le faire, mais « l’être ensemble » : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.
Et le prodigue, revenu transformé de ses errances, est réintégré dans cet être soi, dans cet être ensemble ou tout peut être à nouveau partagé. Il est revenu à la vie ; il ÉTAIT perdu, et il EST retrouvé ! » (Luc 15, 31-32)
Quel beau projet pour une société humaine :
restaurer chacun dans sa dignité, à condition que chacun fasse le chemin nécessaire pour redevenir lui-même quand il s’est égaré ; à condition de définir la dignité par nos valeurs d’Être et par pas la compétition des avoirs et des pouvoirs…
découvrir que nos erreurs et nos fautes ne nous condamnent jamais à perdre notre place ni notre dignité, à condition d’avoir fait ce chemin de vérité qui nous conduit à l’humilité d’être soi-même, sans imposer à l’autre d’être comme nous…
réintégrer la communauté des humains sans subir la double peine de la méfiance, à condition que celles et ceux qui nous entourent ne se comportent pas en bien-pensants qui nous identifient seulement à nos erreurs.
Marc THOMAS
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